Dans une interview accordée à Yabisonews.cd récemment, le professeur Silas Mimile Makangu dresse une analyse sans détour de l’accord signé récemment entre la République démocratique du Congo et le Rwanda aux États-Unis. À l’en croire, cet accord, qui devait initialement exhiber comme une percée diplomatique pour Kinshasa dans sa quête de sécurité dans l’Est du pays, se révèle, à la lecture de ses termes, largement favorable à Kigali.
« Alors que nous pensions avoir un avantage sur le Rwanda, lorsqu’on lit cet accord, on se rend plutôt compte que c’est le Rwanda qui tire la grosse part », déclare le professeur Makangu dans une interview accordée récemment au média Yabisonews.cd.
Pour ce spécialiste des relations internationales, l’esprit initial de l’accord conçu comme une garantie de sécurité pour le territoire congolais a été inversé au profit de Kigali.
« Au départ, c’était un accord que nous attendions signer avec les États-Unis, minerais contre sécurité », rappelle le professeur Makangu. Mais à la surprise générale, le Rwanda a été invité à la table des négociations et s’y est imposé comme un acteur central.
« Peu importe les administrations américaines, la politique étrangère des États-Unis dans la région des Grands Lacs considère le Rwanda comme un modèle de bonne gouvernance », souligne-t-il, non sans amertume. Cette perception occidentale conforte le rôle du Rwanda comme pilier de stabilité régionale, alors que du côté congolais, Kigali est plutôt vu comme le principal fauteur de troubles.
Ce décalage d’analyse entre partenaires internationaux et autorités congolaises a, selon Makangu, permis au Rwanda d’imposer ses vues dans un accord qui, paradoxalement, ne prévoit aucune sanction explicite contre ses incursions militaires sur le sol congolais.
« On attendait un texte ferme contre le Rwanda ; à la place, on se retrouve avec un accord qui conditionne le retrait de ses troupes à la neutralisation préalable des FDLR », déplore-t-il.
Au cœur de ce que le professeur qualifie de prétextes , figure l’éternelle question des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Le Rwanda, depuis 1994, utilise la menace supposée de ce groupe armé hutu issu de l’exil post-génocide pour justifier ses incursions en territoire congolais. «
Le Rwanda a toujours présenté le FDLR comme une menace à son existence, et il est resté constant sur cette ligne pendant 30 ans », fait remarquer Makangu. À l’inverse, « c’est nous, du côté congolais, qui manquons de constance lorsqu’il s’agit de défendre notre intégrité territoriale ».
Ce déséquilibre stratégique et discursif, selon lui, a permis au Rwanda de garder un pied légal ou du moins légitimé en RDC. L’accord signé à Washington le 27 juin dernier ne fait qu’entériner cette position, en liant le retrait des troupes rwandaises à la disparition d’un ennemi que Kigali n’a jamais véritablement voulu neutraliser, car il lui sert de levier pour continuer à opérer militairement et économiquement en RDC.
Un texte sans mécanisme contraignant
Autre point d’inquiétude soulevé par le professeur Makangu c’est l’absence de sanctions claires ou de mécanismes de vérification robustes. Si l’accord évoque « le respect de l’intégrité territoriale » et « l’arrêt des hostilités », il ne contient aucune mesure contraignante en cas de violation.
Certes, des dispositions sur « le désengagement, le désarmement et l’intégration conditionnelle des groupes armés non étatiques » sont mentionnées, de même qu’un « mécanisme conjoint de coordination en matière de sécurité ». Mais l’expérience des précédents accords régionaux pousse à la prudence.
« Ce n’est ni le premier ni le deuxième, c’est peut-être le septième ou huitième accord que nous signons avec le Rwanda. Et nous savons tous ce qu’il en a été des précédents », rappelle Makangu.
« Ne tombons pas dans le triomphalisme »
Malgré le ton solennel de la cérémonie de signature, en présence du président américain Donald Trump, du secrétaire d’État Marco Rubio, et des ministres Thérèse Kayikwamba Wagner (RDC) et Olivier Nduhungirehe (Rwanda), le professeur Makangu appelle à la retenue. « Ce pas montre que tout le monde veut la paix, au moins en apparence. Mais par expérience, je ne veux pas tomber dans le triomphalisme », avertit-il.
Pour lui, le danger serait de surestimer la portée immédiate de ce traité, au risque de fausser l’analyse de la crise sécuritaire persistante dans l’est du pays. « Cet accord est le bienvenu, mais il ne faut surtout pas lui donner un pouvoir magique », martèle-t-il. « Le marasme sécuritaire dans lequel nous sommes depuis plus de 30 ans ne pourra pas être réglé par une signature à Washington, surtout si les causes profondes notamment l’exploitation illégale des ressources congolaises ne sont pas adressées. »
Le professeur Makangu invite les autorités congolaises à tirer les leçons des erreurs du passé et à se doter d’une stratégie de long terme face à un adversaire aussi constant et structuré que le Rwanda.
CTMAMPUYA